Comment Entourage, le réseau des voisins avec et sans domicile fixe, a humanisé les rues vidées


Omar a connu la rue pour la première fois à 13 ans. Depuis, à 37 ans, il est toujours sans domicile fixe (SDF). Quand on lui demande ce qui est le plus dur, il répond sans hésiter : « Je dirais la solitude. » Alors pour prendre un café ou laver ses vêtements, trouver des chaussures ou même imprimer des documents, il utilise Entourage. Chargée sur son Samsung A7, cette application d’entraide entre voisins « avec ou sans domicile fixe » lui permet d’échanger régulièrement avec au moins dix personnes qui vivent dans son quartier. Depuis maintenant un an et quatre mois, Omar utilise quotidiennement l’appli à laquelle il ne trouve « aucun défaut ». 

« Du bénévolat 2.0 »

Comme lui, 71 % des personnes sans domicile fixe possèdent un smartphone. Un outil « devenu indispensable dans leur quotidien » analyse Solinum qui publie une étude autour de la précarité connectée en septembre 2019. Pour une personne isolée, comme pour tout le monde, le smartphone est un puissant vecteur de lien. Encore plus quand les rues sont vides. 

Téléchargée plus de 112 000 fois jusqu’à présent, l’appli Entourage met en relation trois types d’utilisateurs les citoyens lambda, personnes sans domicile fixe (SDF) et associations de lutte contre la pauvreté et la précarité. Lancée en 2016, la plate-forme d’entraide ne fonctionne pour l’instant qu’à Paris, dans les Hauts-de-Seine (92), à Lyon, à Lille et à Rennes. Mais, la petite équipe de 14 salariés veut étendre son réseau sur tout le territoire. 

L’appli a pour ambition d’être un « catalyseur de lien social », explique Claire, la responsable de la communication qui fait partie de l’aventure depuis son lancement. « C’est une espèce de bénévolat 2.0 ! » Pendant le confinement, « on a jamais eu d’activité aussi forte », s’enthousiasme-t-elle. Pour les seuls mois de mars et d’avril, l’application a recensé 14 000 nouveaux inscrits. En parallèle, 1 600 actions lancées sur le réseau ont abouti. 

« Tous les jours, je passais devant plusieurs personnes qui vivaient dans la rue », témoigne Milena, 26 ans, qui s’est inscrite récemment. « Je voulais proposer mon aide et en même je ne savais ni comment faire, ni si c’était possible alors que les consignes de confinement étaient strictes. » Par une copine, elle entend parler d’Entourage. En un clic, elle télécharge l’appli et s’inscrit. 

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Simple comme bonjour

Le lendemain, Milena reçoit un mail de confirmation. Deux messages l’attendent déjà sur l’appli. « Bienvenue sur le réseau Entourage ! Je suis là pour vous aider et vous permettre de créer du lien. » Un deuxième message : « Ah oui j’oubliais, voici deux outils à votre dispo : “Simple comme bonjour”, un guide de conseils […] et un annuaire des structures solidaires à Paris ». Le ton est chaleureux, l’engagement simplifié, Milena est parée. 

La toute nouvelle « Entoureuse » surfe un peu sur le fil d’actualités qui liste les posts des personnes près de chez elle dans le besoin, mais ce jour-là, rien dans son quartier à Paris. Elle décide de s’inscrire au programme « Les bonnes ondes » conçu spécialement pendant le confinement. L’idée est d’aider en téléphonant. Tout de suite, elle est affectée à une team

Avec trois bénévoles, elle appelle, a tour de rôle, Philippe, 54 ans, dans une situation précaire depuis plus de vingt ans. Lui, comme elle, c’est sa première fois. Malgré les documents et la visioconférence de préparation d’une heure avec l’équipe d’Entourage, « c’est pas forcément évident », se souvient-elle. « On se pose pleins de questions, on doute, on se dit après tout qui suis-je pour l’appeler comme ça alors qu’il me connaît pas ? » Mais, l’interaction en direct laisse derrière elle ses angoisses. Au fil des appels hebdomadaires, les liens se tissent progressivement. Il lui rend bien.

« Philippe ça aurait pu être ma mère ! »

Pour caler le rendez-vous téléphonique, Milena et Philippe s’écrivent des textos. Si l’un a un contre-temps, il prévient l’autre et vice-versa. « C’est peut-être naïf de dire ça mais on se rend compte qu’on a affaire à un humain, quelqu’un exactement pareil que nous qui à un moment n’a pas eu de chance dans la vie », analyse-t-elle. « En fait, je me dis que Philippe ça aurait pu être ma mère ! » 

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Pendant le confinement, comme elle et sa team, 800 personnes se sont inscrites au programme, dont une sur trois est SDF.  Samia, membre active du réseau depuis deux ans, est l’une d’entre elles. « Ça m’a fait beaucoup de bien, j’ai beaucoup appris, j’ai rencontré des gens ouverts », résume-t-elle après deux mois à trois appels par semaine. Pour elle, ce n’est pas la première fois qu’elle fait appel au réseau. 

« C’est Entourage qui m’a sortie de la galère »

« Quand j’étais menacée d’expulsion dans un foyer, un jeune couple m’a aidé à monter mon dossier DALO [Droit au logement opposable, NDLR] », se rappelle Samia qui vivait « à droite à gauche » avec son fils depuis qu’elle a quitté son mari. « Je venais chez eux pour “bosser”, on dinait ensemble, c’était comme des potes ! Ils m’ont fait un dossier béton et m’ont même accompagnée au tribunal ». Depuis, elle a été reconnue comme prioritaire pour avoir un logement et vit depuis dans un deux pièces au nord de Paris avec son fils.

Comme elle, aujourd’hui environ 280 000 personnes sont SDF. Ce décompte approximatif regroupe les 30 000 personnes sans toit recensées par l’INSEE en 2015 et les 250 000 personnes, selon les associations, qui n’ont pas de domicile fixe mais trouvent un toit souvent précaire (des centres d’hébergement d’urgence, des foyers, une voiture, un canapé chez la famille, un ami etc.). « C’est Entourage qui m’a sortie de la galère », affirme Samia. 

Un outil pensé par et pour les SDF

Même constat pour Omar. « L’appli a changé ma situation. Maintenant, je me sens mieux et je me sens entouré. » Depuis février 2019, Omar fait partie du Comité de la rue, un groupe de 8 bénévoles qui connaissent ou ont connu la galère. Leur mission est d’orienter et valider la stratégie de l’association.  « J’essaie d’aider Entourage comme je le peux », témoigne Omar très reconnaissant. Dès qu’il le peut, il conseille à toute personne en situation précaire ou même « qui se sent seul » de télécharger l’application.

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Si l’application n’a pas vocation à les réinsérer, de fait, le réseau est un levier pour s’en sortir. Sur 100 messages sur le réseau, 20 sont postés par des personnes SDF. Un chiffre qui représente bien la philosophie d’Entourage. « Le meilleur moyen de savoir de quoi on besoin les personnes en galère, c’est de pouvoir demander ce qu’ils veulent », précise Claire, la responsable de la communication. « Entourage c’est la preuve que la technologie combinée à des micro-actions peut humaniser les rues ! » 





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